jeudi 3 décembre 2020

GISCARD D'ESTAING

 MORT D'UNE ILLUSION

Si Giscard d'Estaing fut un réformateur incontestable, il marqua aussi la fin d'une illusion : l'union des partis politiques au service de l'intérêt général.



Après de Gaulle et Pompidou, à l'instar de Kennedy, Giscard d'Estain fut le premier à mettre en scène sa vie familiale sur sa célèbre affiche électorale où il est pris sur le vif en photo avec sa fille Jacinte. L'esprit de sa campagne était "la continuité dans le changement". Ses successeurs ont tous opté pour des "ruptures" ou "fractures" sociétales et ont lamentablement échoué. 

La France a changé mais ils ont subi les coups de bélier sans pouvoir les anticiper et les contrôler. L'intelligence de Giscard lui permit de les accompagner en les comprenant.



Avec son slogan : "Giscard à la barre" et la télévision dont il sait se servir comme relais de communication, il souffle un vent de modernité sur la politique. Il a le sens des formules qui touchent les électeurs  avec par exemple : "Je veux regarder la France dans les yeux" ou face à son adversaire lors du débat télévisé " Vous n'avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur !"



Son septennat fut marqué par des réformes sociétales profondes comme l'abaissement de l'âge de la majorité de 21 à 18 ans, la légalisation de l'IGV, le divorce par consentement mutuel, le collège unique jusqu'à la 3°, le choix d'une filière d'apprentissage professionnelle après cette classe, l'éclatement de l'ORTF en plusieurs entreprises audiovisuelles. Il réforma aussi le Conseil Institutionnel. Nous en sommes encore 40 ans après les héritiers.



  • Personnellement, je n'étais pas favorable à la majorité à 18 ans car à l'époque je travaillais dans un institut de semi-liberté avec des adolescents délinquants souvent violents et cette réforme impliquait l'arrêt d'un suivi éducatif beaucoup trop tôt. 
  • Je n'ai non plus pas compris le tronc commun du collège empêchant l'accès à l'apprentissage en alternance le plus tôt possible pour des jeunes mal à l'aise dans les matières classiques et davantage attirés par le monde du travail.
  •  Au niveau de l'éthique morale l'IGV de confort reste problématique et dramatique et, sauf exception, est un crime contre la vie. j'ai admis cette loi à contrecœur même si je la trouve justifiée quand l'embryon présente de sévères malformations de développement. 
  •  Giscard d'Estaing fut un président féministe d'avant garde. 
  • La liberté des médias fut aussi un fait historique phénoménal. Cette liberté d'expression est une conquête qu'accompagna le Président Giscard d'Estaing. Mais qu'est-elle devenue aujourd'hui ? Un contre-pouvoir politique sans garde fou !


En voulant se mettre en proximité avec le peuple avec la mise en scène de ses repas chez l'habitant,  son goût pour le foot l'accordéon, le ski, Giscard cassa les codes classiques de l'autorité hautaine et monarchique du pouvoir en faisant appel à l'implication d'artistes populaires du music-hall ou du cinéma comme Johny Halliday, Charles Aznavour, Alain Delon, Brigitte Bardot... 







Cette modernité à la mode américaine, avec Kennedy pour modèle, n'est peut-être pas ce dont avait besoin la tradition française ? En tout cas, elle sonnait faux car lui comme son épouse étaient des aristocrates conscients de leurs supériorités intellectuelle et sociale. 
Je ne souviens que je me suis vraiment senti tout petit lors d'une visite d'Anne-Aymone Giscard d'Estaing dans mon atelier d'éducation gestuelle lorsque je m'occupais d'adolescents déficients mentaux ! On ne mélange pas les torchons avec des serviettes.




Sur le plan politique, avec l'antipathie viscérale de Chirac vis-à-vis de Giscard, ce fut aussi la fin des illusions de l'union des partis politiques au service de l'intérêt général. 



Chaque leader mettant la main sur l'exécutif de son parti politique n'eut plus qu'une ambition électorale faisant table rase des causes démocratiques contenues dans la synergie de leur mouvance idéologique. L'égo personnel tua ainsi le sens véritable de la démocratie : celle des idées. 

Alors, entre Chirac ou Giscard, même si ne je fus guère "emballé" j'ai préféré le réformateur profondément européen qui a laissé des traces de son action. Que reste-t-il de l'ère chiraquienne ?

Je n'ai donc jamais non plus adhéré à l'immobilisme de Jacques Chirac. Qu'a t-il réformé ? 

Il choisi plutôt la paix sociale que les réformes pour adapter les structures étatiques au temps présent.  Je ne peux pas lui pardonner car il fit battre Valéry Giscard d'Estaing en 1981 en faisant voter en sous-main pour François Mitterrand. 



Quel gâchis ! Giscard d'Estaing ne put donc pas réformer plus profondément  le pays et nous en payons aujourd'hui les conséquences. 

Depuis la présidence de Mitterrand, ce pseudo-socialiste, la France est prise en tenaille dans la spirale effrayante de dépréciation d'elle-même et dans une décadence morale, économique, culturelle et industrielle et la société devient de plus en plus violente. 

En 1981, ce fut la fin d'une illusion chez les centristes : la France ne peut pas être gouvernée sur la base d'un consensus pragmatique. Elle est à la merci des partis politiques dévoyés par les ambitions démesurées de politicards. 

Seul de Gaulle fut capable de fédérer les énergies positives de notre pays en rassemblant durablement des hommes et des femmes de tous bords politiques. Cette culture du chef est ancrée dans notre Constitution. Mais encore faut-il incarner un "bon chef". 



Malgré le choc pétrolier de 1974, Giscard d'Estaing restera pour sa part le seul président réformateur de la 5° République. Emmanuel Macron essaie de réformer mais à la grande différence, il n'est pas issu du terrain avec les mandats proches du peuple de maire, de conseiller général, de député ou de sénateur comme l'était Giscard. Cette lacune au niveau de l'expérience lui coûte le pragmatisme de l'analyse sociologique et l'efficacité de l'action. La politique est un métier qui ne s'improvise pas loin des réalités.



Enfin Giscard d'Estaing se voulait écrivain et fut élu à l'Académie Française. Ses romans lèvent le voile sur le séducteur aux aventures coquines : ça vaut mieux que d'être pris en flagrant délit ridicule sur un vulgaire scooter. Il y eut certes l'affaire de l'accident de la Ferrari prêtée par Vadim, que Giscard conduisait en la galante compagnie de Marlène Jobert. A l'époque on sourirait beaucoup de cet accident avec un camion de laitier et de son retour à l'Elysée en auto-stop en 2cv. Mais on lui pardonna aussi et les médias n'ont que murmuré.

Pour rappel ses romans furent publiés sans grand succès :

  • "La Princesse et le Président" (aux éditions Fallois 2009) : Giscard se rêve en chef d'Etat libertin à l'image de certains de nos monarques. Entre réalité et fiction, le vrai Giscard d'Estaing, prenant ses désirs pour des réalités, se dévoile sans pudeur et donc pas à son avantage.
  • Ses essais politiques ont une toute autre valeur, dont "Démocratie française" et ses mémoires publiées en 2006 : "Le Pouvoir de la Vie".



Je ne sais pas si un hommage officiel sera organisé mais Giscard d'Estaing fut Président de la République et mérite donc à ce titre au moins une minute de silence que j'observerai même si je suis assez réservé sur son bilan politique tronqué par un Chirac aussi populaire qu'inefficace.

Enfin, je ne crois pas que l'histoire retiendra les noms des ces deux ennemis intimes (Giscard et Chirac). Seule la figure de Charles de Gaulle restera dans le souvenir collectif comme la colonne vertébrale française du XX° Siècle. Qui se souviendra de l'auteur des réformes de la société sous le septennat de Giscard ?

(Note du 4 décembre 2020 : j'ai évidemment regardé à la télévision les reportages sur Giscard d'Estaing et à ma grande surprise je n'ai pas écrit de bêtise et mon analyse semble tenir la route. Je reviendrais sur cette figure de notre histoire.