jeudi 12 mars 2020

LA DÉPENDANCE MÉDICALE EN QUESTION ?

Victime d'une hémorragie sérieuse, admis durant 12  jours dans une unité de soins du CHU Charles-Nicolle de Rouen, cette hospitalisation me confronte à la dépendance et celle-ci au renversement de mes valeurs humanistes.



En préambule, il faut que je dise que j'ai participé à la création du Samu Social, l'association l'Autobus, qui maraude les soirées à la rencontre des "Sans Domicile Fixe" dans les rues de Rouen. J'en fus le secrétaire, le responsable logistique et bien sûr un des chefs d'équipe pendant plusieurs d'années sous la responsabilité de Jean-Marie et Evelyne DEHUT que je salue amicalement.



Il me reste donc à relater mes frustrations face aux conditions humaines auxquelles je fus confronté durant mon immersion dans l'unité de soins en tant que patient.

J'ai hésité avant de les publier tant elles peuvent paraître mesquines et en contradiction totale avec mes engagements sociaux mais leur réalité impose de les avouer avec honnêteté. 

Tout part d'un simple et idiot oubli administratif. Nous n'avons pas coché la demande de couverture d'une chambre individuelle dans le contrat de notre mutuelle complémentaire. 

La veille de ma sortie, c'est un SDF en très mauvais état qui occupa le lit à côté du mien. Ma fille horrifiée par cette promiscuité voulu me récupérer mais je m'y opposais très fermement : "Cet homme a autant de droits que moi à être soigné en disposant d'un lit. Heureusement qu'en France ce droit fondamental est appliqué sans distinction d'origine, de niveau social et de conviction."

Ceci dit, ai-je bien supporté la situation ? 

Une envie de fuite me fit libérer mon lit le plus tôt possible le lendemain matin après une nuit sonore avec des cris, des grognements, des ronflements, des pets, des propos incohérents de mon voisin qui sortait peut-être d'un épisode éthylique aiguë. Que sais-je ?

Je le dis franchement, partager la salle d'eau, les toilettes avec "ce paumé de la conjoncture" me rebutait et heureusement j'étais sortant et l'expérience fut donc brève d'autant plus qu'une aide soignante utilisa ma serviette de toilette dans l'urgence d'une intervention.

J'ai essayé tant bien que mal, sans poser de question, d'entrer en contact avec cet homme mais j'ai remarqué qu'il avait la bouche à demi paralysée. A-t-il été victime d'un AVC ? 

En tout cas, il m'expliqua avoir été renversé par un véhicule et effectivement son visage boursouflé et ses genoux portaient des traces récentes d'ecchymoses et profondément marqué son corps exprimait toute sa misère sociale. 

Quand j'avais du mal à le comprendre, il me disait "ça n'a pas d'importance", réponse typique que je connais bien des gens en situation d’errance qui s'auto-déprécient.

J'ai donc lâchement quitté cette chambre et j'ai attendu soulagé que ma famille vienne me chercher dans le salon de télévision du service.

Comme beaucoup, je n'ai donc pas échappé au chamboule-tout des valeurs quand fragilisé, fatigué, recroquevillé sur moi-même, le côté sombre de ma personnalité se révéla lors de cette tranche de vie. Mon seuil de tolérance  humaniste fut anéanti avec cette situation de dépendance imposée.

Effectivement, quand au bout de 5 jours le cap des soins intensifs dans une chambre individuelle fut passé, je fus transféré dans une chambre en binôme. 

La plus mal conçue du service, avec une salle d'eau sentant le renfermé et l'humidité, avec un brave homme du pays de Bray, cabossé par la rupture de sa vie familiale comme voisin de lit, je vécus dans cette chambre la dépendance et la promiscuité difficilement.

Comment péter, tousser, roter, pisser, chier, se laver, regarder la télévision sans gêner l'autre quand on n'est pas seul ? Comment oser lire ou regarder la télévision la nuit en cas d'insomnie ?

Vissé sur mon lit par des transfusions sanguines et l'assistance respiratoire, cette dépendance où tout geste d'autonomie demande une stratégie comme par exemple attraper un pistolet pour pisser,  supportable dans une chambre individuelle, me fut vraiment pénible pendant 7 jours et 6 nuits. 

Les visiteurs de mon voisin, manquant de savoir vivre parlaient fort, mettaient le son de la télévision en arrière fond sans la regarder, ne rangeaient pas ses affaires de toilette sur le lavabo unique.
L'hôpital est ouvert à tous, j'en conviens, mais le patient que je suis, ne supporte pas bien ce manque de moyen matériel criant. Et pourtant être hospitalisé en France reste un privilège par rapport au monde entier.

C'est le bémol majeur de cette expérience humaine dont je rends compte en sachant que ce ressenti peut choquer les âmes bien pensantes ou charitables.

Et puis, il se passa un petit épisode car un mauvais courant d'air réveilla ma bronchite chronique, me mettant en difficulté respiratoire et m'obligeant à sommeiller assis pendant trois nuits malgré l'assistance d'aérosols...

A priori, un traitement par antibiotique n'était pas évident et provoqua un échange avec une interne. Sûre de sa science mais fort de l'expérience de mon corps (et surtout des prescriptions de mon pneumologue) notre confrontation verbale fut pour le moins musclée. Pour une fois, j'ai refusé la situation de soumission et de dépendance au savoir. C'est à contre-cœur et vexée qu'elle me prescrit les antibiotiques que je réclamais. Ai-je eu raison ? Je ne le sais franchement pas...

Voila mon témoignage. Ce fut une leçon de vie qui me rappela à l'humilité mais aussi à l'émerveillement devant le sens de l'engagement de toute l'équipe de ce service médical du CHU de Rouen. 

Dans ces "deux petits reportages" je n'ai aucune autre prétention que de témoigner d'un vécu ressenti et encore une fois je remercie tous ceux qui me permettent de ne pas encore vous dire "au revoir" définitivement.

De retour à la maison, j'ai prévenu ma famille et mes amis que le corps médical me conseillait de rester confiné chez moi sans visite car je suis désormais très vulnérable aux contagions virales. 
Donc malgré toute mon affection, pas de contact physique, des mesures d'hygiène simples devraient me permettre de passer le cap attendu de la pandémie mondiale du coronavirus.

Enfin, la médecine est-elle un art ou une science ?
Ce serait un bon sujet d'épreuve philosophique pour le Bac et j'ai en réserve quelques arguments pour imaginer un prochain article.

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