En vous faisant-part d’une expérience spécifique que j’ai pratiquée de 1982 à 2002, au sein d’un institut de rééducation habilité pour des jeunes filles de 6 à 18 ans, présentant des troubles du comportement dus souvent à de graves carences éducatives, justifiant leur placement par mesure de justice ou sociale en semi-internat, je veux témoigner d’un pragmatisme réaliste au niveau d’une jeunesse en grosse difficulté.
La finalité
éducative visait, outre un retour à un équilibre de vie, une
sortie de l'établissement avec un projet socioprofessionnel
permettant à chaque jeune de prendre en main son avenir personnel
avec la plus large autonomie possible malgré ses difficultés
familiales pas toujours résolues. J'étais responsable de l'édification de ce projet de vie au sein d'une remarquable équipe psycho-éducative.
L’objectif de
sortie portait sur trois axes :
- Dans quel endroit vais-je vivre ?
- Comment puis-je être accompagnée si besoin ?
- Comment puis-je gagner ma vie et avoir ma place dans la société?
Après
un parcours de rattrapage et de consolidation scolaire jusqu’à l’âge de 14-15 ans, les jeunes étaient admises en section
pré-professionnelle, de 15 à 18 ans, encadrée par une éducatrice scolaire spécialisée se chargeant de la consolidation des acquis scolaires
en corrélation avec la réalité de la vie d’une jeune femme, et
par un éducateur technique spécialisé (moi-même) prenant en charge toute
l’éducation dite gestuelle afin d’évaluer les possibilités
d’adaptation de chaque jeune fille à la vie extérieure par des
mises en stages progressives en entreprises.
(L’entreprise d'accueil pouvait verser une petite gratification n’excédant pas 30% du
SMIG)
La
section pré-professionnelle accueillait de 12 à 18 adolescentes sur
trois années scolaires.
Le
sous groupe de la première année
bénéficiait de 4
demi-journées de soutien scolaire personnalisé avec compris une
demi-journée de cuisine, de 3 demi-journées d’atelier d’éducation
gestuelle dont une de travail de sous-traitance pour une entreprise.
Après
un trimestre d’adaptation, la jeune était mise en stage de contact
une ou deux demi-journées dans une entreprise avec l’apprentissage
des déplacements en transport en commun. (2
stages non rémunérés dans des entreprises différentes de 3 mois
répartis sur le deuxième et troisième trimestres scolaires avec
une convention de stage passé entre l’établissement, l’entreprise
et la jeune).
Le
but de ces stages de contact était une mise en confiance de la
jeune permettant de renouer avec la réussite avec les questions
suivantes :
- Comment dois-je me présenter ?
- Comment faut-il que je m’organise pour arriver à l’heure dans l’entreprise ?
- Comment dois-je me comporter pour être acceptée par des collègues ou mon maître de stage ?
- Travailler : qu’est ce que cela m’apporte ?
Le
sous groupe de la deuxième année
bénéficiait de 3
demi-journées de consolidation des acquis scolaires en corrélation
à ce que chaque jeune vivait en stage et aux différents aspects de
la vie sociale rencontrés.
Une
demi-journée d’atelier pour optimiser le travail de sous-traitance
avec tenu d’un cahier de performances et d’intéressement
personnels aux bénéfices.
Trois
stages d’adaptation de trois à quatre demi-journées était
proposés dans différents secteurs d’activités en respectant les
aptitudes et les goûts de chacune.
Généralement
c’est au cours de cette année que se produisait un déclic chez la
jeune qui devenait de plus en plus motivée pour réussir ses stages
en prenant conscience de son réel potentiel en se posant les
questions suivantes :
- Est-ce que ce travail me plaît ?
- Est-ce que j’ai un avenir dans cette activité ?
- Est-ce que je réussis à bien m’intégrer dans une équipe de travail ?
- Quels efforts dois-je fournir pour m’améliorer ?
- Je commence à penser à mon projet de sortie ou à une autre orientation ?
Le
sous groupe de troisième année
ne bénéficiait plus que
de deux demi-journées de soutien scolaire personnalisé pour concrètement
mettre en pratique les acquis socioculturels dans sa vie quotidienne.
Quatre à cinq demi journées en trois stages d’intégration dans
un secteur ciblé par la jeune permettaient d’envisager, à la fin
de la prise en charge par l’établissement, une formation en
alternance qualifiante, un contrat de travail limité, un contrat
aidé (avec la rémunération légale en vigueur selon le type de
contrat).
La
jeune pouvait retourner dans sa famille si possible ou bénéficier
d’une orientation en foyer de vie ou bénéficier d’une
orientation spécialisée en cas de nécessité.
Cette
méthode de travail a permis de répondre positivement à une grande
majorité des jeunes filles quand elles étaient motivées car notre
équipe avait développé un réseau assez important d’entreprises
pour répondre à nos besoins de stages de contact, d’adaptation
ou d’intégration. Ces entreprises jouaient le jeu et étaient
véritablement nos partenaires avec pour vecteur le principe de
réalité et d’exigence.
Pour la jeune avec ses huit bilans de
stages acquérait une référence pré-professionnelle fondée sur
une réelle expérience et pouvait valoriser positivement une
recherche d’emploi ou de formation même après plusieurs années.
Ce dispositif simple, innovateur et pragmatique nous a permis de réussir un
travail reconnu par tous les acteurs des services sociaux et de
justice, les familles et aussi, bien évidemment, par les
entreprises.
Cette expérience est-elle généralisable ?
Comment définir, dans ce cas, un cadre légal ? Qui serait
porteur du dispositif d’application ?
Je suis effectivement conscient qu’elle s’appliquait dans une structure
très particulière où les partenariats étaient faciles à mettre
en place.
Cependant, son efficacité me détermine à en rendre compte à un moment d'échanges dans notre pays via le "Grand débat".
Sur le plan financier, son coût de revient se limitait à la rémunération d'un éducateur scolaire spécialisé et d'un éducateur technique spécialisé au sein d'un établissement. A l'époque j'avais innové avec cette approche réaliste d'une jeunesse en grande difficulté et si j'en fais le bilan, je ne regrette rien et même j'en revendique l'expérience fondée sur le bon sens.
Dix sept ans après ce vécu, quand je rencontre par hasard une de mes anciennes "élèves", elle me parle de son expérience positivement et cela me conforte donc d'en rendre publique le cadre.
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