vendredi 1 mars 2019

JEUNES ET L'INSERTION PROFESSIONNELLE


En vous faisant-part d’une expérience spécifique que j’ai pratiquée de 1982 à 2002, au sein d’un institut de rééducation habilité pour des jeunes filles de 6 à 18 ans, présentant des troubles du comportement dus souvent à de graves carences éducatives, justifiant leur placement par mesure de justice ou sociale en semi-internat, je veux témoigner d’un pragmatisme réaliste au niveau d’une jeunesse en grosse difficulté.

La finalité éducative visait, outre un retour à un équilibre de vie, une sortie de l'établissement avec un projet socioprofessionnel permettant à chaque jeune de prendre en main son avenir personnel avec la plus large autonomie possible malgré ses difficultés familiales pas toujours résolues. J'étais responsable de l'édification de ce projet de vie au sein d'une remarquable équipe psycho-éducative.

L’objectif de sortie portait sur trois axes :
  1. Dans quel endroit vais-je vivre ?
  2. Comment puis-je être accompagnée si besoin ?
  3. Comment puis-je gagner ma vie et avoir ma place dans la société?

Après un parcours de rattrapage et de consolidation scolaire jusqu’à l’âge de 14-15 ans, les jeunes étaient admises en section pré-professionnelle, de 15 à 18 ans, encadrée par une éducatrice scolaire spécialisée se chargeant de la consolidation des acquis scolaires en corrélation avec la réalité de la vie d’une jeune femme, et par un éducateur technique spécialisé (moi-même) prenant en charge toute l’éducation dite gestuelle afin d’évaluer les possibilités d’adaptation de chaque jeune fille à la vie extérieure par des mises en stages progressives en entreprises.
(L’entreprise d'accueil pouvait verser une petite gratification n’excédant pas 30% du SMIG)

La section pré-professionnelle accueillait de 12 à 18 adolescentes sur trois années scolaires.

Le sous groupe de la première année bénéficiait de 4 demi-journées de soutien scolaire personnalisé avec compris une demi-journée de cuisine, de 3 demi-journées d’atelier d’éducation gestuelle dont une de travail de sous-traitance pour une entreprise.
Après un trimestre d’adaptation, la jeune était mise en stage de contact une ou deux demi-journées dans une entreprise avec l’apprentissage des déplacements en transport en commun. (2 stages non rémunérés dans des entreprises différentes de 3 mois répartis sur le deuxième et troisième trimestres scolaires avec une convention de stage passé entre l’établissement, l’entreprise et la jeune).
Le but de ces stages de contact était une mise en confiance de la jeune permettant de renouer avec la réussite avec les questions suivantes :
  • Comment dois-je me présenter ?
  • Comment faut-il que je m’organise pour arriver à l’heure dans l’entreprise ?
  • Comment dois-je me comporter pour être acceptée par des collègues ou mon maître de stage ?
  • Travailler : qu’est ce que cela m’apporte ?

Le sous groupe de la deuxième année bénéficiait de 3 demi-journées de consolidation des acquis scolaires en corrélation à ce que chaque jeune vivait en stage et aux différents aspects de la vie sociale rencontrés.
Une demi-journée d’atelier pour optimiser le travail de sous-traitance avec tenu d’un cahier de performances et d’intéressement personnels aux bénéfices.
Trois stages d’adaptation de trois à quatre demi-journées était proposés dans différents secteurs d’activités en respectant les aptitudes et les goûts de chacune.
Généralement c’est au cours de cette année que se produisait un déclic chez la jeune qui devenait de plus en plus motivée pour réussir ses stages en prenant conscience de son réel potentiel en se posant les questions suivantes :
  • Est-ce que ce travail me plaît ?
  • Est-ce que j’ai un avenir dans cette activité ?
  • Est-ce que je réussis à bien m’intégrer dans une équipe de travail ?
  • Quels efforts dois-je fournir pour m’améliorer ?
  • Je commence à penser à mon projet de sortie  ou à une autre orientation ?

Le sous groupe de troisième année ne bénéficiait plus que de deux demi-journées de soutien scolaire personnalisé pour concrètement mettre en pratique les acquis socioculturels dans sa vie quotidienne. Quatre à cinq demi journées en trois stages d’intégration dans un secteur ciblé par la jeune permettaient d’envisager, à la fin de la prise en charge par l’établissement, une formation en alternance qualifiante, un contrat de travail limité, un contrat aidé (avec la rémunération légale en vigueur selon le type de contrat).
La jeune pouvait retourner dans sa famille si possible ou bénéficier d’une orientation en foyer de vie ou bénéficier d’une orientation spécialisée en cas de nécessité.

Cette méthode de travail a permis de répondre positivement à une grande majorité des jeunes filles quand elles étaient motivées car notre équipe avait développé un réseau assez important d’entreprises pour répondre à nos besoins de stages de contact, d’adaptation ou d’intégration. Ces entreprises jouaient le jeu et étaient véritablement nos partenaires avec pour vecteur le principe de réalité et d’exigence.

Pour la jeune avec ses huit bilans de stages acquérait une référence pré-professionnelle fondée sur une réelle expérience et pouvait valoriser positivement une recherche d’emploi ou de formation même après plusieurs années.

Ce dispositif simple, innovateur et pragmatique nous a permis de réussir un travail reconnu par tous les acteurs des services sociaux et de justice, les familles et aussi, bien évidemment, par les entreprises. 

Cette expérience est-elle généralisable ? Comment définir, dans ce cas, un cadre légal ? Qui serait porteur du dispositif d’application ? 

Je suis effectivement conscient qu’elle s’appliquait dans une structure très particulière où les partenariats étaient faciles à mettre en place. 

Cependant, son efficacité me détermine à en rendre compte à un moment d'échanges dans notre pays via le "Grand débat". 
Sur le plan financier, son coût de revient se limitait à la rémunération d'un éducateur scolaire spécialisé et d'un éducateur technique spécialisé au sein d'un établissement. A l'époque j'avais innové avec cette approche réaliste d'une jeunesse en grande difficulté et si j'en fais le bilan, je ne regrette rien et même j'en revendique l'expérience fondée sur le bon sens.

Dix sept ans après ce vécu, quand je rencontre par hasard une de mes anciennes "élèves", elle me parle de son expérience positivement et cela me conforte donc d'en rendre publique le cadre.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire